Anémométrie approfondie (0)

Le but de cet article est d’établir quelques notions et relations de base, et notamment la loi de Laplace, avant d’aborder dans de futurs articles des notions approfondies d’anémométrie.
Je n’expose que les calculs qui me semblent intéressants, et je ne décris pas toujours dans le détail les hypothèses faites. Dans le but de simplifier l’exposé je fais parfois des hypothèses plus en amont qu’il n’est nécessaire, ce qui fait perdre de la généralité aux relations établies. Un exposé plus abouti devrait utiliser l’entropie, mais cette notion me semble trop abstraite pour le but poursuivi. Je pense cependant ne pas avoir manqué de rigueur, n’hésitez à commenter surtout si vous notez des erreurs.

Commençons par un rappel de thermodynamique.

Si on défini l’énergie interne U d’un gaz monoatomique composé de N atomes de masse m, soit une masse totale de gaz M = m N, par la somme des énergies cinétiques des atomes qui le composent, au prix de certaines hypothèses assez intuitives, on peut établir, u2 étant la vitesse quadratique moyenne des atomes,
(1){\text{U}=\frac{1}{2} M u^2}
On établit en admettant d’autres hypothèses également assez intuitives, P étant la pression et V étant le volume du gaz de masse M,
(2) {\text{P V}=\frac{1}{3} M u^2}
On en déduit
(3) {\text{U}= \frac{3}{2} \text{P V}}
Une hypothèse plus subtile, dite d’équirépartition de l’énergie, selon laquelle l’énergie cinétique, de rotation ou de translation, est équirépartie sur chaque degré de liberté, permet d’établir l’énergie d’un gaz diatomique comme étant
(4) {\text{U}= \frac{5}{2} \text{P V}}
Toutes les hypothèses évoquées sont celles de la théorie connue sous le nom de théorie cinétique des gaz.
On connaît depuis longtemps la formule empirique, qui est validée par l’expérience avec un niveau de précision suffisant pour les applications aéronautiques courantes,
(5) {\text{P V}= \text{n R T}}, où T est la température, et {\text{n} = \frac {N}{\mathcal{N_A}} } le nombre de moles du gaz, quotient du nombre de molécules composant notre gaz par le nombre d’Avogadro, que l’on peut écrire aussi
(6) {\text{P V} \text{ = N } k_B \text{ T} }, avec {k_B = \frac {R}{\mathcal{N_A}}} la constante de Boltzmann.
La température de cette formule empirique (5) n’a pas d’autre définition que celle donnée par un thermomètre. Mais en rapprochant (5) et (4) on peut définir la température d’un gaz comme une grandeur intensive proportionnelle à l’énergie cinétique moyenne des particules qui le composent. Cette définition de la température est ma préférée, bien qu’elle ne s’applique qu’aux gaz. La définition purement expérimentale de la température par la lecture du thermomètre est frustrante car on ne voit pas trop de quoi il s’agit, la définition de la température à partir de l’entropie, qu’on ne verra pas ici, est tellement abstraite qu’on ne voit pas non plus de quoi il s’agit.
La théorie cinétique des gaz nous permet donc de conclure que l’énergie interne d’un gaz diatomique répondant aux hypothèses de cette théorie ne dépend que de la température:
(7) {\text{U}= \frac{5}{2} \text{  N } k_B \text{ T}= \frac{5}{2} \text{  n } R \text{ T}}
On parlera de gaz parfait lorsque ces hypothèses sont satisfaites. En particulier, l’air étant un gaz composé essentiellement d’Azote et d’Oxygène diatomiques, on supposera que la formule (4) s’applique à l’air dans les conditions d’utilisation de nos aéronefs, qui est le seul gaz que nous considérerons dans la suite.

Échange d’énergie sous forme de chaleur
Vous avez constaté que si vous laissez votre café chaud dans sa tasse, au bout d’un certain temps il sera à la même température que celle de la pièce. Si vous faites l’expérience avec un volume d’air dans un récipient hermétique vous aurez le même résultat: les températures finissent par s’égaliser. On dira qu’une quantité de chaleur, notée Q, ou δQ si elle est infiniment petite, la chaleur étant une grandeur homogène à l’énergie, est passé de l’air à la pièce, et que l’énergie interne de l’air a diminuée exactement de cette quantité. La théorie cinétique des gaz ne nous est ici d’aucune utilité pour comprendre par quel mécanisme l’énergie interne a varié, c’est un savoir purement expérimental.

Échange d’énergie sous forme de travail

Transfert d’énergie sous forme de travail
Lorsqu’une force extérieure est appliquée sur le piston, et que la position du piston bouge de dx, un travail
{\delta W= - S P_e dx = - P_e dV}
est échangé avec l’extérieur, qui augmente ou diminue l’énergie interne de l’air contenu dans le piston.
Si on n’envisage que les échanges d’énergie sous forme de chaleur et de travail, qu’on généralise l’échange de travail à toute variation de volume, et qu’on suppose qu’au cours du processus, la pression interne et la pression externe restent identiques (P=Pe), la variation d’énergie de l’air sera
(8) {\text{dU}= \delta Q - P dV}

Capacité thermique
Quelle sera l’augmentation de température ΔT d’une masse d’air donnée si on lui apporte une quantité de chaleur Q donnée?
Considérons en premier un échange isochore, c’est à dire à volume constant, en bloquant le piston dans notre dispositif expérimental. Dans un échange de chaleur isochore, dV=0. La relation (8) devient donc
(9) {\text{dU}= \delta Q } pour un échange de chaleur isochore.
En différentiant (7) on obtient
(10) {\text{dU}= \frac{5}{2} \text{  n } R \text{ dT}}
(9) et (10) nous permettent d’établir
(11) {\delta Q= \frac{5}{2} \text{  n } R \text{ dT}}
En intégrant
(12) { Q= \frac{5}{2} \text{  n } R \Delta T } pour un échange de chaleur isochore, c’est la réponse à la question posée.
On envisage maintenant un processus isobare: quelle sera l’augmentation de température ΔT d’une masse d’air donnée si on lui apporte une quantité de chaleur Q donnée à pression constante, c’est à dire le piston de notre dispositif expérimental étant laissé libre de se déplacer? La relation (8) devient, en ajoutant d(P.V)=V.dP+P.dV de chaque coté,
(13) {\text{d(U + P.V)}= \delta Q + V dP }.
Pour un processus isobare, dP=0, la relation (13) devient donc
(14) {\text{d(U + P.V)}= \delta Q } pour un processus isobare
Soit, en utilisant (5) et (7)
{ d(\frac{5}{2} \text{  n } R \text{ T}+ \text{  n } R \text{ T})= \delta Q }, et enfin
(15) { \delta Q= \frac{7}{2} \text{  n } R \text{ dT}} pour un processus isobare.
En intégrant
(16) { Q= \frac{7}{2} \text{  n } R \Delta T} pour un processus isobare, c’est la réponse à la question posée.

Coefficients thermiques.
Les manuels définissent
l’enthalpie (17) H = U + P V et les coefficients thermiques { C_v=(\frac{\partial U}{\partial T})_v } à volume constant et { C_p=(\frac{\partial H}{\partial T})_p } à pression constante.
Pour le cas particulier des gaz parfait, l’énergie et l’enthalpie ne dépendant que de la température, on peut écrire
(18) { C_v=\frac{dU}{dT} } pour un gaz parfait
(19) { C_p=\frac{dH}{dT} } pour un gaz parfait
De (7) on tire
(20) { C_v = \frac{5}{2} \text{  n } R   } pour un gaz diatomique,
et de (7) et (5) on tire
(21) { C_p = \frac{7}{2} \text{  n } R   } pour un gaz diatomique.
On note que Cv et Cp sont des grandeurs extensives et sont constantes pour un gaz diatomique.
(11) et (15) s’écriront aussi
(22){\delta Q= C_v \text{ dT}} à volume constant,
(23) {\delta Q= C_p \text{ dT}} à pression constante.
(13) peut s’écrire en utilisant la définition (17) de l’enthalpie
(24) {\text{dH}= \delta Q + V dP }.

Processus adiabatique
Nous allons la plupart du temps envisager des masses d’air que nous supposerons ne pas échanger d’énergie avec l’extérieur sous forme de chaleur, on parlera de compression/détente adiabatique dans ce cas. On considère en général qu’on peut négliger l’échange de chaleur si le processus ne dure pas longtemps (mais assez longtemps quand même pour que l’hypothèse Pe=P, formulée plus haut pour établir (8), reste valable). Pour un tel processus (8) et (24) deviennent, δQ étant nul,
(25) {\text{dU}= - P dV} pour un processus adiabatique
(26) {\text{dH}=+ V dP } pour un processus adiabatique
(18) peut s’écrire (27) dU = Cv dT
(19) peut s’écrire (28) dH = Cp dT
(25) et (27) donnent (29) {C_v dT = - P dV}
(26) et (28) donnent (30) {C_p dT = + P dV}
En éliminant dT entre (29) et (30) on obtient
(31) {\frac{P}{C_v} dV + \frac{V}{C_p} dP =0} pour un processus adiabatique
On pose (32) {\gamma = \frac{C_p}{C_v}}
On note que γ, quotient de deux grandeurs extensives, est une grandeur intensive. Pour l’air, on tire de (20) et (21) {\gamma = \frac{7}{5}}.
(31) devient, après division par P.V et multiplication par Cp,
(33) { \gamma \frac{dV}{V} + \frac{dP}{P}  =0}
Si γ est constant, (33) devient
(34) { d(P.V^\gamma) =0} ou encore,
(35) {\mathbf{ P.V}}γ constant au cours d’un processus adiabatique, relation connue sous le nom de loi de Laplace.
On note que la loi de Laplace est valable non seulement pour l’air, mais aussi pour tout gaz dont l’enthalpie et l’énergie ne dépendent que de la température et dont γ est constant au cours du processus.

Triangle des vitesses

Le schéma est extrait d’un document dénommé Calcul mental : triangle des vitesses, librement disponible sur le site de l’ACAT. L’angle entre la route et le cap est appelé dérive, noté X. X est l’abréviation du mot cross, crosswind voulant dire vent de travers. L’angle entre la route et le vent, noté θ, est appelé angle au vent. La vitesse du vent est notée Vv sur le schéma. Je préfère dans la suite la noter W, W comme wind.
Lors de la préparation d’un vol, j’ai une prévision de vent et j’ai calculé ma vitesse propre (Vp), et j’aimerais connaître, pour préparer ma navigation, la vitesse sol (Vs) et la dérive. Une fois en vol, je pourrai évaluer la dérive et la vitesse sol à l’aide du compas, d’un chronomètre et de repères au sol, ou plus simplement en m’aidant du GPS, et j’aimerais pouvoir en déduire la force et la direction du vent.
Posons les équations reliant toute ces valeurs.
(1){V_p \cos \, X -W \cos \, \theta =V_s }
(2){V_p \sin \, X -W \sin \, \theta =0}
Arrêtons nous un instant sur ces formules pour examiner les conventions que nous avons adoptées. Si l’angle au vent est nul, (2) nous dit que a dérive est nulle, et (1) qu’il faut retrancher le vent de la vitesse propre pour trouver la vitesse sol. Nous adopterons la convention que le vent est toujours positif, qu’un angle au vent inférieur à 90° veut dire qu’on subit une composante de face, et qu’un angle au vent supérieur à 90° veut dire qu’on bénéficie une composante favorable. Le signe de l’angle au vent correspond à un vent de droite ou de gauche, nous considérerons que le signe est toujours positif, et que le vent vient de gauche.
Intéressons nous en premier à la dérive
On déduit de (1) et (2)
(3){ X= \arcsin (\frac{W}{V_p} \sin \theta)}.
Si nous désignons par Wx = W sinθ la composante du vent perpendiculaire à la route, nous obtenons
(4){ X= \arcsin (\frac{W_x}{V_p})}.
Nous avons déjà évoqué la formule {\sin  \alpha \simeq \frac{\alpha}  {60}}, avec α exprimé en degrés, qui peut s’écrire aussi {\arcsin a \simeq 60  a}, l’angle étant là aussi exprimé en degrés, qui consiste à approcher le sinus par sa corde à 30°. Cette formule approchée donne des valeurs exactes pour les angles 0° et 30°, est très précise entre 0° et 30°, et l’erreur devient significative pour des angles dont le sinus dépasse significativement ½. Si on approche le sinus par cette formule la formule (4) devient
(5){ X\simeq \frac{60}{V_p}W \sin \theta=\frac{60}{V_p}W_x}.
En France et, à ma connaissance, nulle part ailleurs, on définit le facteur de base Fb comme le nombre de minutes qu’il faut pour parcourir un NM. Selon le contexte, il s’agit de parcourir un NM air ou un NM sol. Ici il s’agit d’un NM air. Si la vitesse est exprimée en kt, on donc { F_b= \frac{60}{V_p} }. (5) peut donc s’écrire
(6) X≃Fb.W.sinθ = Fb.Wx
Cette formule est très précise tant que Wx ne dépasse pas la moitié de la vitesse propre. L’erreur est inférieure à 2½° si Wx=0.7 Vp, dépasse 5° si Wx=0.8 Vp, dépasse 10° si Wx=0.9 Vp, et atteint 30° si Wx=Vp, c’est à dire si le vent est plein travers et égale la vitesse propre. Dans ce cas extrême, la dérive est de 90°, alors que la formule approchée donne une dérive de 60°.
Dans la suite, nous considérerons que Wx est toujours suffisament petit pour que (6) puisse s’appliquer.
(3) nous permet sans surprise de déterminer que la dérive maximum, notée Xm, est obtenue lorsque l’angle au vent est de 90°:{ X_m= \arcsin (\frac{W}{V_p})}, d’où on tire
(7)Xm≃Fb.W, et de (6) et (7) on obtient enfin
(8)X≃Xm sinθ, formule donnée par tous les manuels, qui est donc utilisable tant que Wx=W sinθ ne dépasse pas significativement la moitié de la vitesse propre. Je vous conseille maintenant la lecture des documents accessibles par le lien donné en début d’article, qui vous donneront de précieux conseils pratiques sur l’utilisation de cette formule.

De (1) et (2) on peut tirer
(9){ V_s= \sqrt{ (V_p^2- W^2 \sin^2 \theta)}-W \cos \theta}, qui donne la vitesse sol en fonction de la force et direction du vent, et de la vitesse propre. Les manuels appellent vent effectif, que je noterai We=W.cosθ, la composante longitudinale du vent. On peut ainsi écrire (9) en fonction du vent effectif We
(10){ V_s= \sqrt{ (V_p^2- W^2 \sin^2 \theta)}-W_e}
Le schéma ci-dessus, tiré du document cité en tête de cet article, rend plus parlante la formule alternative
(11)Vs=Vp.cosX-W.cosθ=Vp.cosX-We,
qu’on peut aussi écrire
{ \frac {V_s}{V_p} = \cos X - \frac {W}{V_p}\cos \theta}, ou encore
(12){ \frac {V_s}{V_p} = \cos X - \sqrt{ (\frac {W}{V_p})^2- \sin^2 X}}.
Les manuels proposent la formule
(13)Vs≃Vp-W.cosθ=Vp-We, en considérant implicitement que la dérive est toujours suffisamment petite pour qu’on puisse en négliger le cosinus.
Prenons un exemple typique de voyage à 100kt de vitesse propre avec un vent de 20kt. Si le vent est plein travers, les manuels (13) nous disent que la vitesse sol sera égale à la vitesse propre. Avec du vent de travers, vous devrez mettre le nez dans le vent, et donc votre vitesse sol sera inférieure à votre vitesse propre: vous n’avez pas besoin de faire de trigonométrie pour vous convaincre alors que la formule (13) n’est pas exacte, en en faisant, vous saurez de combien: (5) nous donne une dérive de X≃Fb.W.sinθ = 0.6×20=12°, la différence entre (11) et (13) permet de calculer que l’écart entre l’approximation et la réalité est de 1-cos(12°)≃2% , l’approximation est dans ce cas justifiée. Si le vent est de 50kt, (5) nous donne une dérive de X≃Fb.W.sinθ = 0.6×50=30°, la vitesse propre sera de 100kt x cos(30°)=87kt. Dans ce cas, pour obtenir la vitesse sol, il faut diminuer de 13% la vitesse donnée par l’approximation de la formule (13). Dans le tableau ci-dessous, on trouvera pour différente valeurs de la dérive et du rapport { \frac {W}{V_p}} la proportion, en %, dont il faut diminuer le résultat de la formule (13) pour obtenir une valeur exacte.


{ \frac {W}{V_p}}20%30%40%50%60%70%
Dérive 10°-2%-2%-2%-3%-4%-5%
Dérive 15°-4%-5%-6%-7%-10%
Dérive 20°-8%-9%-12%-15%
Dérive 25°-13%-16%-21%
Dérive 30°-13%-20%-26%
Dérive 35°-22%-30%

Par exemple, si le vent est de 30kt et ma vitesse propre de 100kt, si je subis une dérive de 15°, je dois minorer le résultat de la formule (13) de 4% pour trouver la valeur juste.
D’un point de vue pratique, tout le monde utilise la formule (13), mais il faut avoir en tête qu’une forte dérive conduit à surestimer la vitesse propre si on utilise la formule (13), et donc arrondir la vitesse trouvée vers le bas va dans le sens de la sécurité.